Un scrutin « irréaliste » dans le contexte actuel
Un scrutin « irréaliste » dans le contexte actuel

La puissance des gangs armés, qui continuent de contrôler de vastes pans du pays malgré l’arrivée en 2024 d’une force de sécurité internationale, rend « irréaliste » la tenue projetée d’élections générales en Haïti avant la fin de l’année.
Dans un nouveau rapport paru mercredi, l’International Crisis Group (ICG) presse les autorités de surseoir au scrutin en relevant qu’il serait impossible, dans les conditions actuelles, d’assurer la sécurité des candidats et des électeurs.
La mise en garde survient quelques jours après que les membres d’un gang ont abattu une dizaine de résidants à proximité immédiate d’une académie de police, à Pétion-Ville, en proche banlieue de Port-au-Prince.
Selon Diego Da Rin, un analyste d’ICG qui séjourne régulièrement en Haïti, les gangs exercent un contrôle quasi total sur les allées et venues des populations vivant dans les zones sous leur emprise. Ils pourraient empêcher toute participation au scrutin, minant la légitimité du futur gouvernement.
Leurs leaders pourraient aussi tenter de diriger les votes vers des candidats qui leur sont favorables, voire tenter de constituer leur propre parti, comme l’évoque Jimmy « Barbecue » Chérizier, l’un des responsables d’une coalition de gangs ayant uni leurs forces l’année dernière pour s’imposer dans la capitale haïtienne.
Plus de 80 % de Port-au-Prince est aujourd’hui contrôlé par les gangs, qui sont aussi très présents dans le département de l’Artibonite.
« Près de la moitié des électeurs ayant participé aux dernières élections, tenues en 2016, venaient de ces régions », souligne M. Da Rin.
Leslie Voltaire, qui chapeaute le Conseil présidentiel de transition mis en place l’an dernier après le départ forcé du premier ministre Ariel Henry, a réitéré en janvier, lors d’une visite en France, que les autorités souhaitaient tenir le premier tour d’élections générales en novembre. Le second tour se tiendrait en janvier 2026 pour permettre l’entrée en fonction d’un nouveau gouvernement début février.

PHOTO RALPH TEDY EROL, ARCHIVES REUTERS
Des résidants armés interceptent des passants dans une rue de Kenscoff, en banlieue de Port-au-Prince, en Haïti.
Préalablement, les membres du Conseil veulent tenir en mai un référendum sur une proposition de réforme constitutionnelle d’envergure, qui paraît tout aussi impraticable à la lumière des conditions sécuritaires actuelles.
« Il n’y aura pas de changement à ce niveau dans les mois qui viennent », observe M. Da Rin, qui presse les autorités haïtiennes de fixer des objectifs à atteindre en matière de sécurité, plutôt que d’avancer un échéancier précis pour le référendum et les élections, quitte à prolonger, au besoin, le mandat du Conseil présidentiel de transition.
Loin du compte
L’instabilité persistante dans le pays, aux prises avec une grave crise humanitaire, découle en partie du fait que la mission multinationale de soutien à la police locale est loin de disposer de toutes les ressources requises pour être pleinement opérationnelle.
Le Kenya, qui chapeaute la mission, a déployé 400 policiers dans le pays en 2024, alors qu’un contingent total de 2500 policiers est prévu.
Malgré l’appui de policiers kényans, les forces haïtiennes n’ont pas réussi à stopper l’expansion des gangs à Port-au-Prince même et au-delà ni récupéré des pans de territoire déjà sous leur contrôle, « à quelques exceptions près », note l’ICG.
Selon M. Da Rin, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche suscite une certaine incertitude en matière de financement, puisque les États-Unis ont assuré la majeure part du coût de cette mission à ce jour.

PHOTO CLARENS SIFFROY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Policiers kényans sur le tarmac de l’aéroport Toussaint-Louverture, à Port-au-Prince, à leur arrivée en Haïti, début février
Une solution plus durable pourrait venir des Nations unies, qui étudient la possibilité d’en faire une mission de paix en bonne et due forme.
« Les missions onusiennes ont traditionnellement pour objectif de maintenir la paix. Or, il n’y a pas de paix à protéger actuellement en Haïti », note le représentant d’ICG, qui insiste sur la nécessité de « faire preuve d’imagination » pour trouver une formule permettant des actions « offensives » contre les gangs armés.
Complications politiques
Des tensions politiques ayant suivi la mise sur pied du Conseil présidentiel de transition ont contribué à compliquer la recherche de solutions à la crise sécuritaire que traverse le pays.
Un conflit opposant le Conseil au premier ministre désigné en remplacement d’Ariel Henry, Garry Conille, a notamment mené, en novembre, à son remplacement par Alix Didier Fils-Aimé, un homme d’affaires.
Des allégations de corruption visant trois des membres du Conseil, qui ont refusé de quitter leurs fonctions malgré de nombreux appels en ce sens, ont aussi fait les manchettes.
« Le public voit que les dirigeants semblent concentrés sur des luttes internes de pouvoir, alors que le pays croule sous l’insécurité », souligne M. Da Rin, qui insiste sur la nécessité pour les autorités de se concentrer sans tarder sur la problématique de la violence.
Ce qu’il faut savoir
En Haïti, le Conseil présidentiel de transition formé en 2024 après le départ du premier ministre Ariel Henry souhaite tenir des élections générales avant la fin de l’année.
L’échéancier est jugé irréaliste par l’International Crisis Group, qui voit mal comment un scrutin crédible peut être tenu alors que des gangs armés continuent de terroriser la population.
L’organisation demande que la mission multinationale de soutien à la police haïtienne soit renforcée pour changer la donne sur le terrain.
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