La grand-messe des trumpistes
La grand-messe des trumpistes
(Indianola, Iowa) En ce dimanche matin de janvier, il faut être animé par une certaine foi pour faire la queue pendant plus d’une heure devant la porte close de l’édifice où Donald Trump tiendra son dernier rassemblement avant les caucus républicains de l’Iowa, prévus lundi soir.
Il fait -28 degrés Celsius sous un ciel bleu limpide. Avec le facteur éolien, la température ressentie est de -41. Le froid mord les joues et glace les pieds.
À la tête de la file, Blake Marnell n’est vraiment pas dans son élément, côté météo. Il vit à San Diego, en Californie. Mais à la veille du scrutin qui lancera officiellement la course à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle 2024, il se trouve à Indianola, en banlieue de Des Moines, pour manifester son appui à l’ancien président, largement favori pour l’emporter.
Sous son manteau d’hiver, il porte un veston et une cravate taillés dans un tissu ressemblant à un mur de briques. D’où les surnoms qu’il a acquis après s’être présenté ainsi vêtu à de nombreux rassemblements de Donald Trump : « Brick Man » ou « Brick Suit ».
Il n’est pas le seul dans la file grelottante pour qui la frontière sud revêt une grande importance.
« Nous n’avions pas de frontières ouvertes quand Donald Trump était président », dit Sarka Moore, qui a vu le jour en République tchèque il y a 45 ans avant d’immigrer aux États-Unis. « L’économie était également en meilleur état. »
« Dieu créa Trump »
La foi de Blake Marnell et de Sarka Moore sera récompensée. Ils auront une place dans l’auditorium où se déroulera le rassemblement. De nombreux partisans de Donald Trump, qui n’ont pas voulu s’exposer à la morsure du froid aussi longtemps qu’eux, devront suivre les discours de l’ancien président et de ses soutiens par vidéo interposée dans une salle attenante.
Il sera amplement question de la frontière sud. Mais le rassemblement permettra aussi de mesurer la différence entre Donald Trump et ses principaux rivaux, Ron DeSantis et Nikki Haley, qui n’attirent qu’une fraction de ses foules et ne suscitent qu’un enthousiasme mitigé.
En fait, le terme grand-messe est plus approprié pour décrire un rassemblement de Donald Trump. L’affaire ne dure pas 40 minutes, mais trois heures, en commençant par la prière, le serment d’allégeance au drapeau des États-Unis et l’hymne national, toutes des choses escamotées lors des rassemblements de Haley et DeSantis.
« Nous te remercions, Seigneur, de nous avoir donné un homme prêt à diriger contre tant d’autres prêts à l’attaquer », dit Tamara Scott, directrice de l’organisation Women Concerned of Iowa, pendant la prière.
Le nom de Dieu sera invoqué deux autres fois pendant la grand-messe. Après les discours de plusieurs soutiens de Donald Trump, dont le représentant d’Ohio Jim Jordan, les membres de l’auditoire opinent du chef en regardant une vidéo que l’ancien président a lui-même diffusée sur Truth Social la semaine dernière. Ça s’intitule « Dieu créa Trump ».
« Et le 14 juin 1946, Dieu a regardé son paradis planifié et a dit : ‟J’ai besoin d’un gardien », alors Dieu nous a donné Trump », dit le narrateur de la vidéo, dont la voix, créée par l’intelligence artificielle, imite celle de Paul Harvey, célèbre animateur de radio conservateur mort en 2009, connu notamment pour un discours intitulé « Et Dieu créa un fermier ».
La vidéo décrit Donald Trump comme un bourreau de travail qui bosse jour et nuit et un homme de foi qui fréquente l’église tous les dimanches. Ni l’une ni l’autre de ces descriptions ne correspondent à la réalité observée par de nombreux anciens collaborateurs de l’ancien président, faut-il préciser.
Identité et idolâtrie
Des pasteurs de l’Iowa ont dénoncé la vidéo, la considérant comme blasphématoire, mais leur influence auprès des chrétiens évangéliques est en chute libre à l’ère Trump. Le journaliste Tim Alberta, fils d’un pasteur conservateur du Michigan, a analysé ce phénomène dans un livre récent intitulé The Kingdom, the Power, and The Glory : American Evangelicals in an Age of Extremism.
« Les forces de l’identité politique et de l’idolâtrie nationaliste – longtemps latentes, aujourd’hui pleinement libérées sous la forme du trumpisme – [sont] en train de détruire l’Église évangélique », écrit-il.
Donald Trump invoquera lui-même le nom de Dieu à la fin de son discours de 102 minutes au cours duquel il dénigre ses rivaux, dont Joe Biden (« le président le plus corrompu et incompétent de l’histoire de notre pays »), et tourne en ridicule ses démêlés avec la justice.
Il passe du coq à l’âne, promettant de combattre l’inflation, d’interdire l’enseignement de la théorie critique de la race et d’épargner aux États-Unis une troisième guerre mondiale. Et il lit pour la énième fois les paroles de la chanson The Snake, qui raconte l’histoire d’une femme recueillant un serpent affaibli avant de se faire mordre mortellement par l’animal « vicieux ».
« Le serpent, c’est notre frontière », déclare Trump à ses partisans. « Nous accueillons des personnes en provenance de prisons. Nous accueillons des personnes issues d’établissements psychiatriques. Nous accueillons des meurtriers et des barons de la drogue. Nous accueillons des personnes très malades, atteintes de maladies qui se répandent dans tout le pays. Nous faisons ce qu’il ne faut pas faire pour notre pays. Il sera très difficile de s’en remettre. Mais nous allons commencer dès le premier jour avec des expulsions. »
Et la foule d’accueillir avec des hurlements et des applaudissements cette promesse qui rappelle l’approche qui a valu à Trump d’être accusé de racisme et de xénophobie en 2016.
« 2024 est notre bataille finale », dira Donald Trump à la fin de son discours en promettant de vaincre « l’État profond », les « fauteurs de guerre », les « mondialistes, communistes, marxistes et fascistes », de même que les « faux médias » et « Joe-la-crapule ».
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