Histoire : « 1791-Haïti, ébranlement de l’esclavage transatlantique », thème d’une conférence-débats à Montréal

Histoire : « 1791-Haïti, ébranlement de l’esclavage transatlantique », thème d’une conférence-débats à Montréal

Aug 23, 2023 - 13:23
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Histoire : « 1791-Haïti, ébranlement de l’esclavage transatlantique », thème d’une conférence-débats à Montréal

Introduite par le chanteur-guitariste Jean-Jean Roosevelt, la deuxième journée du Festival du Souvenir de l’organisme ICI [1] a été marquée, le dimanche 20 août 2023, par une conférence-débats sur le thème : « 1791-Haïti, ébranlement de l’esclavage transatlantique » dans la salle de lecture de Café Da. Après avoir interprété une chanson en hommage aux héros de l’indépendance aux rythmes Nago et Yanvalou, Jean-Jean Roosevelt a laissé la place à la conférence-débats.

Les trois intervenants ont consécutivement abordé, dans une perspective spécifique, la révolution haïtienne. Toutefois, ils se sont entendus tous à articuler les événements du passé aux péripéties du présent pour souligner à la fois la singularité, la signification et l’influence de la révolution haïtienne sur l’histoire mondiale.

C’est le cas du doctorant Kesler Bien-Aimé, qui a mis l’accent sur l’universalité du projet de la révolution haïtienne. Pour lui, le désir d’émancipation que charrient les révolutionnaires de St-Domingue demeure une source d’inspiration pour les différents mouvements de luttes du XXe et du XXIe siècles. Il a considéré à titre d’illustration la mobilisation des rastafari au cours des années 1930, les luttes pour les droits civiques aux États-Unis au cours des années 1950-1960. Plus près de nous, le mouvement Black Lives Matter en 2020 s’inscrit dans la même perspective. Bien-Aimé invite à considérer la révolution haïtienne à partir d’un prisme universel.

Tout en accordant à la révolution de 1804 toute son importance, comme phénomène unique dans l’histoire de l’humanité, il importe aujourd’hui, face à la situation actuelle, de se poser la question : pourquoi cette révolution n’a-t-elle pas produit un véritable État haïtien inclusif, dans lequel le peuple haïtien se reconnait ? Pourquoi, après avoir montré au monde le chemin de la liberté, l’État haïtien piétine encore à construire une société dans laquelle les Haïtiennes et Haïtiens peuvent s’épanouir ?

Ces questions ont été abordées par le politologue Frantz Voltaire et l’historien Alain Saint Victor.

Pour Frantz Voltaire, directeur du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (Cidihca), la réponse à ces questions complexes n’est pas évidente, dans la mesure où il faut analyser le rôle joué par les principaux acteurs de cette révolution. Dans toutes révolutions, il y a des contradictions entre les principaux leaders. Les luttes de classes et de fractions de classes, certes, ont été déterminantes, mais aussi les alliances et mésalliances ont joué un rôle déterminant dans la composition même des groupes dominants.

Pour Voltaire, par exemple, le fait que les Congos, par leur nombre, ont largement dominé la composition démographique de la population de Saint-Domingue, les Dahoméens deviennent relativement moins imposants au cours de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Parallèlement, les Congos ont été moins intégrés dans les rouages du système esclavagiste. Plus enclin à la révolte et au marronnage, les Congos ont été la cheville ouvrière de l’armée de libération. Comme dans tout processus révolutionnaire, les luttes de leadership ont entrainé de nombreux morts par traitrise. Les leaders des Congos ont payé le prix fort, mais les luttes de pouvoir ont continué après 1804. Les vainqueurs ont, en grande partie, orienté les destinées du nouvel État dans un contexte international colonial au XIXe siècle et néocolonial au XXe siècle.

Par ailleurs, l’historien Alain Saint-Victor s’est servi de la grille de lecture décoloniale pour analyser les péripéties de l’État haïtien depuis sa fondation. Partant de l’ouvrage « une lecture décoloniale de l’histoire des Haïtiens » du sociologue Jean Casimir, il fait remarquer que l’État d’Haïti se caractérise essentiellement par une politique d’exclusion de la majorité de la population, mise en œuvre tout au long de son histoire. En dépit de la portée du geste révolutionnaire, l’État haïtien a tenté de reproduire plusieurs éléments du monde colonial, dont l’économie de plantation. En plus, l’exclusion sociale constitue une de ses caractéristiques fondamentales. À titre d’exemple, la population haïtienne demeure rurale à plus de 90% jusqu’aux années 1950, alors que l’essentiel des services, dont l’éducation, la santé, les infrastructures routières, se concentre dans des centres urbains rachitiques. La population paysanne est dépourvue de presque tout.

Actuellement, l’occupation du territoire est relativement inversée. Plus de 50% de la population vit en milieu urbain. Privés de services sociaux de base, les gens sont condamnés à survivre dans des bidonvilles surpeuplés, où ils se trouvent dans l’obligation de vivre et de subir une violence multiforme au quotidien. Après le terrorisme des pouvoirs duvaliériens et des militaires putschistes, la terreur des gangs constitue aujourd’hui une nouvelle façon de maintenir le statu quo, c’est-à-dire la reproduction et la perpétuation de l’exclusion et la domination, politique et économique du peuple haïtien.

Une vive participation du public a suivi l’exposé des intervenants. Des questions et commentaires ont permis un débat très animé. Certains ont porté, notamment, sur le conflit au sein des acteurs qui ont mené la révolution, alors que d’autres ont mis l’accent sur le véritable sens de la révolution haïtienne.

La conférence a pris fin à 19:30, mais les échanges entre les membres du public et les intervenants ont poursuivi sur les perrons de la « bibliothèque Café DA » et les ruelles avoisinantes.

Cela témoigne de l’intérêt et du désir, dans la communauté haïtienne de Montréal, de creuser à la fois le sens de l’ « événement révolutionnaire haïtien » et les péripéties de l’État haïtien.

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