Téhéran pourrait « sprinter » pour se doter de l’arme nucléaire

Téhéran pourrait « sprinter » pour se doter de l’arme nucléaire

Jun 14, 2025 - 14:29
 0  1
Téhéran pourrait « sprinter » pour se doter de l’arme nucléaire

L’opération militaire israélienne lancée jeudi contre l’Iran vise à empêcher le régime de s’équiper de l’arme nucléaire, mais ultimement, elle pourrait avoir l’effet contraire : convaincre les dirigeants du pays de la nécessité d’aller de l’avant pour se protéger.

Pourquoi Israël a-t-il attaqué maintenant ?

Le premier ministre d’Israël, Benyamin Nétanyahou, s’inquiète depuis longtemps de la possibilité que l’Iran se dote de l’arme nucléaire. Il cherchait depuis des mois à convaincre l’administration américaine de la nécessité de frapper le pays pour l’empêcher de poursuivre ses activités d’enrichissement d’uranium loin au-delà du seuil requis pour une utilisation civile de l’énergie nucléaire.

Le président des États-Unis, Donald Trump, a plutôt rouvert des négociations avec Téhéran dans le but de conclure un accord susceptible de garantir le caractère pacifique du programme iranien, tout en laissant planer la menace d’une attaque en cas d’échec.

Richard Nephew, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université Columbia, note que M. Nétanyahou se méfiait de l’évolution des négociations et craignait que le chef d’État américain ne finisse par accepter un accord contraire aux intérêts sécuritaires du pays pour pouvoir crier victoire. Israël souhaitait profiter par ailleurs du fait que l’Iran et ses alliés ont été affaiblis militairement au cours des dernières années par une série d’affrontements directs avec ses forces armées.

Les États-Unis étaient-ils d’accord avec l’attaque ?

Des responsables israéliens ont affirmé au site Axios que les États-Unis étaient d’accord avec le lancement de l’opération et auraient même prétendu le contraire pour éviter d’alerter les dirigeants iraniens ciblés par des frappes. Le scénario, note M. Nephew, colle mal avec le fait que le président américain a répété avec insistance pendant des semaines qu’il était nécessaire de privilégier la voie diplomatique dans ce dossier.

Le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, a annoncé peu de temps après le lancement de l’attaque qu’Israël avait décidé d’agir « unilatéralement » et que les États-Unis n’y avaient pas pris part. Le président Trump a ensuite affirmé que son administration était au courant des détails de l’opération et avait mis en garde Téhéran quant à la nécessité de ne pas faire traîner les négociations au-delà d’une période de 60 jours qui venait d’arriver à échéance.

M. Nephew note que les États-Unis ont certainement collaboré avec Israël en matière de renseignements pour préparer un hypothétique assaut. « Ça ne veut pas dire pour autant que le gouvernement a dit : “Allez-y, c’est ça qu’il faut faire” », nuance le chercheur.

Les forces israéliennes peuvent-elles détruire les capacités nucléaires iraniennes ?

Benyamin Nétanyahou a affirmé que le développement d’une arme nucléaire par l’Iran représentait une « menace existentielle » pour son pays et que les frappes se poursuivraient jusqu’à ce qu’elle soit levée. Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient de l’Université d’Ottawa, note qu’il est impossible pour Israël de détruire le programme nucléaire par la force. « Ils peuvent cependant espérer le retarder », dit-il.

Téhéran, indique M. Juneau, serait aujourd’hui capable d’atteindre en « quatre ou cinq jours » le niveau d’enrichissement d’uranium requis pour une arme, mais produire l’arme en question et l’installer sur un missile susceptible de frapper à distance prendrait des mois. L’une des difficultés de l’offensive israélienne vient du fait que certaines infrastructures clés en matière d’enrichissement et de stockage d’uranium sont profondément enfouies et difficilement atteignables. Elles sont par ailleurs largement réparties sur le territoire.

Afin de maximiser l’impact de ses attaques, Israël a pris pour cibles des sites nucléaires importants, mais aussi des infrastructures servant à la production de missiles ainsi que des experts du domaine nucléaire et de hauts commandants militaires. L’offensive israélienne pourrait avoir ultimement pour effet de convaincre les dirigeants iraniens qu’il faut « sprinter » afin de se doter de l’arme nucléaire et de décourager des attaques à plus long terme, prévient Thomas Juneau.

Le régime iranien a-t-il les moyens de contre-attaquer efficacement ?

Téhéran a soutenu pendant des années des groupes militaires apparentés, notamment le Hamas dans la bande de Gaza et le Hezbollah au Liban, qui étaient susceptibles d’attaquer Israël en cas d’attaque. Ils ont cependant été fortement affaiblis depuis deux ans. Les forces iraniennes en Syrie ont par ailleurs été poussées à la porte par la chute du régime de Bachar al-Assad. Les miliciens houthis au Yémen sont aussi alliés à l’Iran et ont prouvé leur capacité à frapper Tel-Aviv, mais ils sont à des milliers de kilomètres d’Israël et peu susceptibles d’intervenir de manière déterminante.

Des milices pro-iraniennes en Irak pourraient aussi intervenir, mais semblent se concentrer sur des préoccupations locales, note Thomas Juneau, qui ne voit pas vraiment d’allié régional majeur susceptible de se porter militairement à la défense de l’Iran. Le régime peut tirer drones et missiles sur Israël comme il l’a fait vendredi, mais pourrait trouver difficile de submerger le bouclier antimissile protégeant le pays, comme l’a montré l’impact limité d’attaques similaires lancées en 2024. Le scénario est encore plus vrai si les États-Unis mettent à profit leurs capacités militaires pour aider Israël à se protéger, un soutien pratiquement assuré, précise M. Juneau.

Est-ce que le régime iranien pourrait tomber ?

Le régime iranien a été largement affaibli par des années de sanctions économiques et doit composer avec la colère d’une partie importante de la population. Les frappes israéliennes risquent de l’affaiblir plus encore, surtout si elles se prolongent dans le temps avec l’aval des États-Unis, et pourraient galvaniser la contestation. Benyamin Nétanyahou a déjà appelé directement la population à se soulever à diverses reprises.

L’épidémiologiste québécoise Nimâ Machouf, qui est d’origine iranienne, note que nombre d’Iraniens sont heureux de voir disparaître de hauts responsables qui ont joué un rôle dans la répression interne, mais désapprouvent l’attaque israélienne et s’inquiètent de son impact potentiel sur le pays et ses infrastructures. Des « bandits » à la tête des deux pays « sont en train de se taper dessus, et c’est la population qui va en faire les frais », dit-elle.

What's Your Reaction?

like

dislike

love

funny

angry

sad

wow