« 80 % du territoire est une zone interdite »

« 80 % du territoire est une zone interdite »

Jun 2, 2025 - 06:56
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« 80 % du territoire est une zone interdite »

L’armée israélienne multiplie les ordres de déplacement dans la bande de Gaza en poussant une proportion croissante de la population palestinienne vers des « enclaves surpeuplées et dépourvues d’infrastructures », dénonce Oxfam.

L’organisation humanitaire estime que 68 des 79 quartiers résidentiels du territoire ont été visés par des ordres de cette nature depuis la relance de l’offensive israélienne à la mi-mars, plaçant près de 600 000 personnes dans des conditions d’insécurité extrême.

« Il y a un nouvel ordre de déplacement tous les deux jours en moyenne… Près de 80 % du territoire est aujourd’hui un no-go zone [zone interdite] », indique en entrevue Bushra Khalidi, porte-parole d’Oxfam établie en Cisjordanie.

Le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a assuré au moment de la reprise des combats que ces déplacements visaient à protéger les civils en empêchant le Hamas de se fondre dans la population pour opérer.

Mme Khalidi pense que l’objectif ultime du gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou va bien au-delà des motifs invoqués pour justifier les « déplacements forcés ».

Le blocage de l’aide humanitaire survenu après l’interruption du cessez-le-feu s’inscrit dans la même stratégie, juge Mme Khalidi.

Le gouvernement israélien a accepté la semaine dernière de permettre une reprise partielle de la distribution, mais la nourriture acheminée ne représente qu’une fraction des besoins de la population.

L’émissaire des Nations unies pour le Proche-Orient, Sigrid Kaag, a déclaré que l’initiative était comparable à l’envoi d’un canot de sauvetage « après le naufrage du bateau ».

Quel objectif ?

Dans une récente analyse, l’International Crisis Group relève qu’Israël semble penser que le fait d’exercer une pression additionnelle sur la population « déjà éprouvée » de Gaza va aider à accroître la pression sur le Hamas, forcer sa capitulation et permettre la libération des otages qu’il détient toujours.

Il est aussi possible, prévient l’organisation, que le gouvernement veuille aller plus loin en forçant le départ des Palestiniens du territoire. Des élus parlent d’encourager une « émigration volontaire », un terme qui « semble être un euphémisme grossier dans la mesure où la bande de Gaza a été rendue inhabitable par Israël, faisant du départ proposé tout sauf un acte volontaire ».

Les responsables israéliens ont déclaré sans ambiguïté que les conditions de vie à Gaza seront impossibles, note H. A. Hellyer, un spécialiste du Moyen-Orient rattaché au Royal United Services Institute for Defence and Security Studies de Londres.

Le Hamas a lancé une attaque meurtrière en territoire israélien le 7 octobre 2023 depuis Gaza. Ses militants ont tué plus de 1200 personnes, en majorité des civils, et enlevé 251 personnes. Il reste aujourd’hui 57 otages, dont 33 au moins sont morts, selon les autorités israéliennes.

Le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas estime que plus de 54 000 Palestiniens ont été tués dans la campagne militaire menée par Israël en réponse à l’attaque. Le chiffre est jugé crédible par les Nations unies.

Un « traumatisme »

Benyamin Nétanyahou a affirmé la semaine dernière en réaction aux critiques de l’opposition à la Knesset que la pression militaire israélienne avait permis de faire libérer un grand nombre d’otages et de décimer les rangs du Hamas.

Il a promis de poursuivre l’offensive jusqu’à une « victoire totale », évoquant la « démilitarisation » de la bande de Gaza, le départ en exil des meneurs de l’organisation extrémiste toujours en vie et la libération des derniers otages.

Israël a donné son aval jeudi à un plan américain de cessez-le-feu de 60 jours qui prévoyait notamment la libération de 10 otages vivants, mais le Hamas a refusé en arguant qu’il ne contenait pas de dispositions pouvant mener à la conclusion d’un cessez-le-feu permanent. Des discussions se poursuivaient à la fin de la semaine.

Annelle Sheline, analyste du Quincy Institute for Responsible Statecraft, note que les otages sont la « dernière monnaie d’échange » dont dispose le Hamas face à Israël. Ses dirigeants n’accepteront pas, dit-elle, de les libérer si les combats sont appelés à recommencer dans deux mois.

Cette ex-employée du département d’État américain avait quitté son poste en 2024 pour protester contre le soutien militaire « inconditionnel » apporté par l’administration de l’ex-président Joe Biden à Israël dans le cadre de son offensive à Gaza.

Elle espère que son successeur, Donald Trump, se décidera à faire pleinement pression sur Benyamin Nétanyahou, notamment en arrêtant de livrer des armes à Israël, pour faire cesser définitivement les combats.

« Il y a eu assez de paroles. Ce qu’il faut maintenant, ce sont des actions », dit-elle.

Bushra Khalidi, qui a de la famille à Gaza, pense que la population ne survivra pas à un nouveau cycle d’interruption des combats suivi par une violente reprise.

« Les gens sont traumatisés, ils ne veulent plus avoir à bouger, ils attendent la mort. Je l’entends dans leur voix », dit la porte-parole d’Oxfam.

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