No Labels : un cheval de Troie pour Trump ?
No Labels : un cheval de Troie pour Trump ?
Les sondages indiquent qu’une bonne majorité des électeurs ne veulent pas d’une reprise de l’affrontement entre Joe Biden et Donald Trump, dont l’âge ou l’intégrité soulèvent des inquiétudes.
Ces mêmes sondages reflètent également la lassitude d’une partie importante de l’électorat vis-à-vis de la joute politique à Washington, où les intérêts partisans priment souvent sur le sens commun, ce qu’on appelle communément le « gros bon sens ».
Bref, l’organisation No Labels ne pouvait choisir un meilleur moment pour proposer l’idée d’un ticket indépendant pour l’élection présidentielle de 2024. Un ticket voué au « Sens commun », pour reprendre le titre de son programme, et composé d’un membre des deux grands partis américains comme candidats à la présidence et à la vice-présidence.
« La majorité des gens de bon sens n’ont pas de voix dans ce pays », a déclaré l’ancien gouverneur républicain de l’Utah Jon Huntsman, lors de la première assemblée publique de No Labels, tenue le 17 juillet dernier au New Hampshire. « Elle se contente de regarder le grand cirque », a-t-il ajouté en s’exprimant au côté du sénateur démocrate de Virginie-Occidentale Joe Manchin.
Mais d’où vient alors le malaise entourant la campagne de No Labels, malaise qui se traduit chez les démocrates par la conviction que le projet de l’organisation n’est rien d’autre qu’un cheval de Troie pour Donald Trump ?
Avant les explications, un retour en arrière. No Labels a été fondée en 2010 par une démocrate – Nancy Jacobson, ancienne présidente des finances du Comité national démocrate – et un républicain – Mark McKinnon, ancien stratège de George W. Bush –, pour contrer une polarisation politique exacerbée par la montée du mouvement populiste du Tea Party.
Au fil des ans, No Labels a appuyé des candidats démocrates ou républicains au Congrès qui prônaient des idées soi-disant centristes. L’organisation a également contribué à la création du groupe bipartisan des « Problem Solvers » à la Chambre des représentants.
Mais, jusqu’à présent, elle n’avait jamais travaillé au lancement d’un ticket présidentiel. Son objectif actuel est de récolter les signatures nécessaires pour assurer une place à un tel ticket sur les bulletins de vote de chacun des 50 États américains. Il s’agit d’un défi de taille pour lequel No Labels veut récolter 70 millions de dollars.
L’organisation se donne jusqu’au mois de mars 2024 pour décider si elle présentera un ticket. Pour le moment, elle décrit son initiative comme une « police d’assurance » au cas où Joe Biden et Donald Trump s’affronteraient de nouveau.
Elle ajoute une autre condition à une campagne éventuelle : un ticket indépendant devra être suffisamment convaincant et attrayant pour pouvoir l’emporter.
Aux yeux de nombreux observateurs, cette condition devrait mettre un terme au projet de No Labels illico. Comme l’a démontré l’histoire des États-Unis, le système électoral américain ne favorise pas les candidats indépendants ou de tiers partis. En 1912, le tiers parti le plus performant de l’histoire, celui de l’ancien président républicain Theodore Roosevelt, a récolté 27 % des suffrages, divisant le vote républicain et donnant la victoire à Woodrow Wilson, premier démocrate à occuper la Maison-Blanche en 23 ans.
Plus d’un siècle plus tard, c’est au tour des démocrates de craindre la division de leur vote par un ticket appuyé par No Labels. Mais ils ne sont pas les seuls à croire que des indépendants ou des républicains anti-Trump pourraient être tentés de voter pour un tel ticket plutôt que pour celui des démocrates. Un tel vote pourrait permettre à Donald Trump de coiffer Joe Biden dans certains États clés et de retourner à la Maison-Blanche.
No Labels jure qu’elle n’a aucune intention de jouer les trouble-fêtes. Deux de ses dirigeants, dont l’ancien sénateur indépendant du Connecticut Joe Lieberman, ont signé en mai dernier une déclaration sur ce sujet intitulée « Donald Trump ne devrait jamais plus être président ».
« Nous ne pensons pas qu’il y ait une quelconque ‟équivalence” entre le président Biden et l’ancien président Trump », ont écrit Joe Lieberman et Benjamin Chavis, ex-président de la NAACP, une organisation de défense des droits civiques, tout en insistant plus loin sur « l’importance de trouver des solutions bipartisanes de bon sens aux problèmes de notre pays ».
Et Joe Manchin ferait-il mieux sur ce plan que Joe Biden, dont les réalisations bipartisanes sont pourtant loin d’être négligeables ?
Les finances de No Labels sont aussi impénétrables que sa logique. Tant que son ticket ne sera pas connu, l’organisation n’est pas obligée de révéler le nom de ses donateurs. Or, ses critiques soupçonnent qu’il s’y trouve plusieurs milliardaires républicains. L’un d’eux a déjà été identifié : Harlan Crow, l’ami le plus généreux du juge de la Cour suprême Clarence Thomas.
Et puis il y a le problème du centrisme, ce concept flou dont les limites se reflètent dans la position de No Labels sur l’avortement : « L’Amérique doit trouver un équilibre entre la protection du droit des femmes à contrôler leur propre santé reproductive et la responsabilité de notre société de protéger la vie humaine. »
Mais où est cet équilibre ? Le programme de No Labels ne fournit pas de réponse à cette question. Et qu’en est-il de la lutte contre le réchauffement climatique ? En réponse à une question sur ce sujet lors de l’assemblée publique au New Hampshire, Jon Huntsman s’est dit en faveur d’une taxe sur le carbone.
Joe Manchin, dont l’État exploite le charbon et le gaz naturel, a aussitôt rejeté une telle idée. Plus tôt dans la soirée, il avait assuré aux membres de l’auditoire qu’il songeait sérieusement à briguer la présidence au sein du ticket de No Labels.
« Et si j’entre dans la course, je vais gagner », a-t-il promis.
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