L’est du pays s’enlise
L’est du pays s’enlise

Le conflit s’intensifie en République démocratique du Congo. Après des semaines de progression, le groupe paramilitaire M23 a pris mardi le contrôle de l’aéroport et de la quasi-totalité du centre et des faubourgs de Goma, métropole et plaque tournante d’une région convoitée du pays, située près du Rwanda. Un regain de violence qui aggrave chaque jour une crise humanitaire alarmante.
Après des semaines de progression, la milice congolaise du M23 vient d’effectuer une percée majeure dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) en mettant la main sur Goma, ville de plus de 1,5 million d’habitants et poumon économique du Nord-Kivu, province convoitée et ravagée par 30 ans de conflits. Des milliers de personnes ont fui la ville bombardée, prise d’assaut par le groupe rebelle avec l’appui de l’armée rwandaise. Plus de 100 morts et près d’un millier de blessés ont été conduits dans les hôpitaux de Goma au cours des trois derniers jours d’affrontements, selon un décompte de l’AFP établi mardi à partir des bilans hospitaliers.
Qu’est-ce que le M23 ?
Mené par des combattants d’origine tutsie, le « Mouvement du 23 Mars », ou M23, est le plus important des quelque 200 groupes paramilitaires qui pullulent dans l’est de la RDC. Il tient son nom d’un accord de paix signé en 2009 qui n’a, selon lui, pas été respecté. Le M23 a brièvement occupé Goma en 2012 avant d’être désarmé. Il est ressuscité en 2021 et compterait aujourd’hui quelque 8000 hommes. Selon l’ONU, la RDC et plusieurs observateurs internationaux, le gouvernement rwandais soutiendrait le M23 depuis de nombreuses années. Mais Kigali a toujours nié son implication, sinon pour assurer « son intégrité territoriale », d’où sa présence aux côtés du M23, dimanche à Goma. Dimanche, Kinshasa a clairement accusé Kigali de lui avoir « déclaré la guerre ».
Pourquoi le M23 et le Rwanda veulent-ils contrôler cette région ?

PHOTO TONY KARUMBA, AGENCE FRANCE-PRESSE
Un résidant de Sake, ville de la République démocratique du Congo située près de Goma, se tient parmi les décombres de sa maison.
Pour des raisons historiques, politiques et économiques. Le Rwanda considère l’est de la RDC comme faisant partie de sa sphère d’intérêt. Il accuse le gouvernement congolais d’abriter les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé créé par d’anciens responsables hutus du génocide des Tutsis au Rwanda, en 1994, qu’il considère comme une menace pour son pouvoir. De son côté, le M23 a été créé pour protéger les communautés tutsies de cette région. Mais la RDC accuse Kigali d’utiliser cette milice pour piller ses minerais, dont l’or, le coltan et l’étain. « Les minerais sont trafiqués à travers des réseaux proches du gouvernement rwandais », souligne Jason Stearns, professeur à l’Université Simon Fraser et expert du conflit au Congo. « Mais ils viennent en réalité de la RDC. En soutenant des milices comme le M23, le Rwanda peut contrôler ces réseaux et surtout empêcher que le gouvernement congolais contrôle et gouverne cette partie du territoire. »
Quelles conséquences la chute de Goma entraîne-t-elle ?

PHOTO TONY KARUMBA, AGENCE FRANCE-PRESSE
Des Congolais ayant fui les hostilités arrivent dans un camp de Gisenyi, au Rwanda.
La catastrophe humanitaire d’abord. L’ONU estime à 400 000 le nombre de déplacés depuis la reprise des hostilités, début janvier. La situation risque de devenir désastreuse avec la prise de Goma, pourtant considérée comme une plaque tournante humanitaire. « Il y a des besoins humanitaires qui sont énormes », s’inquiète Séverine Autesserre, professeure de sciences politiques à l’Université Columbia à New York et auteure du livre Sur les fronts de la paix. « Il y a énormément de coupures d’eau, d’électricité, des problèmes d’approvisionnement. Ils n’ont quasiment plus de médicaments, de médecins, et les hôpitaux sont plus que bondés parce qu’il y a énormément de blessés. » Mme Autesserre évoque aussi des violences « monumentales » contre les civils, dont des meurtres, des viols, des tortures et des pillages. Mardi, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a alerté sur les risques de dissémination de virus, dont Ebola, à partir d’un laboratoire à Goma, en raison de combats à proximité.
Quelles sont les conséquences sur le plan politique ?

PHOTO SAMY NTUMBA SHAMBUYI, ASSOCIATED PRESS
Manifestation à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, mardi
Selon Jason Stearns, le processus de médiation, en cours depuis trois ans entre le Rwanda et la RDC, « est probablement mort ». Sur le terrain, l’expert « conçoit mal » comment l’armée congolaise, historiquement fragile et corrompue, pourrait reprendre Goma à court terme, même si elle compte beaucoup plus d’hommes. « Je ne vois pas le M23 se retirer très vite, ajoute M. Stearns. Il y a un fort risque que les rebelles soutenus par le Rwanda gardent le contrôle de cette région. » À Kinshasa, des manifestants en colère ont attaqué mardi plusieurs ambassades, dont celles du Rwanda, du Kenya et aussi de la France, de la Belgique et des États-Unis, des pays critiqués pour leur inaction dans cette crise.
Comment résoudre ce conflit ?
Le président kényan, William Ruto, a annoncé qu’un sommet extraordinaire de l’EAC (Communauté des États d’Afrique de l’Est) aurait lieu ce mercredi à Nairobi, en présence des présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame. Mais rien ne dit que ces discussions de paix seront plus réussies que les précédentes, la plus récente ayant achoppé pas plus tard qu’en décembre. « On essaie de résoudre les conflits en partant du haut vers le bas, conclut Séverine Autesserre, pessimiste. On se focalise sur les élites : les présidents, les gouvernements, les États. Mais dans le cas d’un conflit comme celui-ci, il y a des causes à la violence qui vont plus loin qu’un simple conflit entre deux présidents. Il faut travailler beaucoup plus sur les problèmes de terre ou les problèmes économiques, qui ne se résument pas aux minerais. Et ça, c’est le genre de truc qui ne peut pas être résolu par des accords de paix qu’on veut signer à Nairobi… »
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