La grande expulsion
La grande expulsion

(Saint-Domingue, République dominicaine) Nadège Jean-Baptiste a migré il y a trois ans en République dominicaine dans l’espoir de refaire sa vie loin des tribulations de Port-au-Prince. Son projet a tourné au cauchemar.
« Ce n’est pas bon pour les Haïtiens de vivre ici. Les gens nous traitent comme des bêtes », lance-t-elle en caressant la tête de son garçon endormi.
L’enfant de 3 ans et sa mère reviennent de loin. En octobre, la femme de 33 ans, sans papiers, a été appréhendée dans la capitale, Saint-Domingue, et immédiatement amenée dans un centre de détention.

PHOTO MARC THIBODEAU, LA PRESSE
Nadège Jean-Baptiste, une Haïtienne qui a été expulsée de Saint-Domingue sans son enfant de 3 ans
« Ils m’ont prise par le bras violemment. Ça m’a fait très, très, très mal », souligne la ressortissante haïtienne, qui a été placée dans une cellule puante où elle devait dormir sur le sol.
Morte d’inquiétude à l’idée d’être séparée de son fils, elle a réussi à alerter le voisin qui le gardait pour la journée.
Il a tenté de remettre l’enfant à sa mère, en vain. Mme Jean-Baptiste s’est retrouvée dès le lendemain dans un camion avec des dizaines d’autres migrants en voie d’être renvoyés.
Le voisin a même suivi le véhicule avec une moto pour tenter une dernière fois de rendre le garçon.
« Il a fini par avoir le visage tout blanc en raison de la poussière. J’ai pleuré, pleuré, pleuré », note Mme Jean-Baptiste.
Sitôt déposée côté haïtien au poste frontalier d’Elías Piña, à 250 kilomètres à l’ouest de la capitale, elle a pris contact avec des passeurs pour retourner en République dominicaine.

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Des Haïtiens venus faire des achats en République dominicaine passent le poste frontalier d’Elías Piña pour rentrer en Haïti.
Elle est passée de motocycliste à motocycliste pour contourner les contrôles routiers après avoir accepté de payer 15 000 pesos, soit 375 $.
Des Haïtiens à Saint-Domingue se sont cotisés pour l’aider et elle les a repayés à son retour, 48 heures après son expulsion, en faisant appel à des amis vivant aux États-Unis et au Canada.
Aujourd’hui, Mme Jean-Baptiste n’ose plus sortir de la chambre qu’elle loue par crainte d’être expulsée de nouveau.
L’expérience n’est en rien unique. Le gouvernement dominicain a annoncé en septembre sa décision d’intensifier le renvoi de migrants haïtiens sans papiers, promettant de retourner jusqu’à 10 000 personnes par semaine.
Le plus récent décompte montre que près de 240 000 Haïtiens ont été renvoyés en 2024, dont environ 100 000 dans les trois derniers mois de l’année.
Le président dominicain, Luis Abinader, a indiqué que le pays devait agir pour endiguer la migration à partir d’Haïti, qui est amplifiée par l’insécurité liée à de puissants gangs.
Il a précisé que la communauté internationale ne pouvait blâmer le pays pour son action – qu’il assure être légale – alors que rien n’est fait pour véritablement rétablir l’ordre côté haïtien.

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Des militaires font descendre des camions les migrants haïtiens qui seront expulsés au poste frontalier d’Elías Piña.
Depuis l’annonce du président, des véhicules grillagés du service de « contrôle migratoire » se rendent pratiquement chaque jour aux principaux postes frontaliers de l’ouest du pays pour renvoyer des Haïtiens appréhendés un peu partout sur le territoire dominicain.
Lors de son passage au poste frontalier d’Elías Piña au début de janvier, La Presse a assisté à l’arrivée de huit camions remplis de ressortissants haïtiens.
Des centaines de migrants à l’air résigné sont descendus des véhicules sous le regard attentif de militaires avant de passer une porte les menant sans autre formalité du côté haïtien.

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Cristina, une ressortissante haïtienne qui vient d’être expulsée en Haïti, lève le pouce en signe de salut.
Une femme de 38 ans, Cristina, a eu le temps d’expliquer, avant d’être emportée dans le mouvement, qu’elle vivait depuis 20 ans en République dominicaine et ne savait pas ce qui l’attendait en Haïti.
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