Le droit du sol en péril

Le droit du sol en péril

Jan 13, 2025 - 09:27
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Le droit du sol en péril

(New York) L’histoire n’a pas oublié le nom de Wong Kim Ark, un simple cuisinier né à San Francisco en 1870. En août 1895, à son retour d’un séjour en Chine, ce fils d’un commerçant chinois s’est vu interdire l’accès aux États-Unis, où il avait passé la majeure partie de ses 25 ans.

M. Wong devait ce refus à la Loi d’exclusion des Chinois, qui permettait depuis 1882 au gouvernement américain de suspendre l’immigration de ressortissants chinois. Il a contesté son déni de citoyenneté devant les tribunaux. La Cour suprême des États-Unis lui a donné gain de cause en 1898, confirmant que le 14amendement de la Constitution conférait la citoyenneté américaine à toute personne née aux États-Unis, peu importe le statut de ses parents, à quelques exceptions près.

Cent vingt-sept ans plus tard, Donald Trump semble rêver de voir la Cour suprême actuelle infirmer cette décision emblématique. Chose certaine, il promet de supprimer la citoyenneté automatique pour les enfants nés sur le sol américain de parents en situation irrégulière, et ce, dès le premier jour de son retour à la Maison-Blanche.

« Nous devons y mettre fin », a déclaré le président désigné lors d’une entrevue accordée à l’émission de NBC Meet the Press le mois dernier. « C’est ridicule. »

« Savez-vous que nous sommes le seul pays dans le monde à l’avoir ? », a-t-il ajouté en faisant allusion à ce que les juristes appellent le jus soli, ou droit du sol. « Savez-vous cela ? Il n’y a aucun autre pays. »

En fait, il y en a 32, dont le Canada et la France. Dans ces deux pays, le droit du sol est également contesté par des partis de droite.

Du Canada à la France

Dans son programme, le Parti conservateur du Canada appelle le gouvernement à légiférer pour « supprimer totalement le droit à la citoyenneté de naissance au Canada, sauf si l’un des parents de l’enfant né au Canada est un citoyen canadien ou un résident permanent du Canada ». Les promoteurs d’une telle réforme y voient une façon de contrer le « tourisme de naissance », qui permet à des ressortissantes étrangères d’obtenir automatiquement la citoyenneté pour leurs enfants nés au Canada.

En France, Marine Le Pen a déposé en 2018 une proposition de loi pour supprimer le droit du sol. Et son parti, le Rassemblement national, défend ces jours-ci cette proposition dans une pétition où il affirme que le droit du sol « menace l’équilibre de toute la France ».

« Véritable pompe aspirante, il transforme notre pays en un Eldorado illusoire, au détriment de ses propres citoyens », peut-on lire dans la pétition.

Aux États-Unis, la suppression du droit du sol n’est qu’une des mesures que Donald Trump s’est engagé à mettre en œuvre pour lutter contre l’immigration irrégulière dès après son investiture à titre de 47président.

La fermeture de la frontière sud en est une autre, qui pourrait être justifiée par une situation d’urgence en matière de santé publique due à l’arrivée de migrants porteurs de maladies, selon le New York Times.

Dans un article publié la semaine dernière, le quotidien révèle que des conseillers du président désigné ont passé les derniers mois à tenter de trouver une maladie susceptible de les aider à défendre cette mesure radicale. La tuberculose et d’autres maladies respiratoires font partie des options suggérées par les alliés de la prochaine administration au sein de la Patrouille frontalière des États-Unis.

Les conseillers de Donald Trump jonglent aussi avec l’idée de ramener le « Titre 42 », ce dispositif sanitaire mis en place dans la foulée de la pandémie de COVID-19 pour expulser sans délai les migrants sans visa vers le Mexique, y compris les demandeurs d’asile, au nom de la lutte contre le virus.

Un amendement fondamental

Mais la suppression du droit du sol aurait une charge symbolique particulière. Car elle éliminerait un principe qui fait partie intégrante de la répudiation de l’histoire de l’esclavage aux États-Unis.

« C’est un élément fondamental de notre Constitution », explique Ilya Somin, professeur à l’école de droit Antonin Scalia de l’Université George Mason, école nommée en l’honneur du défunt juge qui a longtemps été le pilier conservateur de la Cour suprême.

Le 14amendement a été ratifié en 1868 pour renverser l’arrêt Dred Scott de notre Cour suprême qui disait que les Noirs ne peuvent pas être citoyens des États-Unis.

 Ilya Somin, professeur à l’école de droit Antonin Scalia de l’Université George Mason

Le premier article du 14amendement est limpide. Il s’ouvre sur cette phrase : « Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyen des États-Unis ou de l’État dans lequel elle réside. »

La prochaine administration pourrait contester le sens de cet amendement en refusant de délivrer aux enfants nés sur le sol américain de parents en situation irrégulière des documents confirmant leur citoyenneté, tels les passeports et les cartes de sécurité sociale.

Un tel refus serait l’amorce d’un combat juridique susceptible d’aboutir devant la Cour suprême. Selon le professeur Somin, « le moins mauvais des arguments » de la deuxième administration Trump consisterait à dire que les « immigrants illégaux ne sont pas soumis à la juridiction des États-Unis ».

« Mais il s’agit d’un argument faible, car les immigrants illégaux doivent obéir aux lois et, pour cette raison, sont soumis à la juridiction de notre pays. »

Est-ce à dire que cette cause est perdue d’avance pour Donald Trump ?

« C’est difficile d’en être certain tant que la cause n’a pas été présentée devant la Cour suprême, répond Ilya Somin. Mais il me semble que le résultat le plus probable est que les adversaires de l’administration gagneront. »

Le droit du sol serait-il plus en péril au Canada et en France qu’aux États-Unis ?

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