Dans les coulisses d’une tragédie américaine
Dans les coulisses d’une tragédie américaine

(New York) Joe Biden croyait tenir une bonne idée. S’il affichait un air perplexe pendant que Donald Trump répondait aux questions des modérateurs du premier débat présidentiel, les téléspectateurs comprendraient que son rival était un idiot.
Le 46e président des États-Unis a lancé cette idée à ses plus proches collaborateurs et alliés à Camp David, lieu de villégiature officiel du locataire de la Maison-Blanche, où il se préparait en vue du rendez-vous fatidique du 27 juin 2024 à Atlanta.
Il est revenu à Ron Klain, ex-chef de cabinet de Biden à l’époque où il était vice-président, de lui expliquer que son idée n’était pas bonne.
« Monsieur, quand vous avez l’air perplexe, les gens pensent tout simplement que vous êtes perplexe. Et c’est notre problème dans cette course. »
L’anecdote est tirée d’un des quatre livres sur la campagne présidentielle de 2024 qui seront offerts au public d’ici l’été. Le plus attendu paraîtra le 20 mai sous le titre Original Sin (Péché originel). Son sous-titre évoque « le déclin du président Biden, son camouflage et son choix désastreux de se représenter ».
À en croire la maison d’édition Penguin Random House, le journaliste de CNN Jake Tapper et son collègue du site Axios, Alex Thompson, y racontent une « tragédie grecque », où l’effort du protagoniste pour éviter son destin le scelle.
Il s’agit sûrement d’une tragédie américaine qui a facilité le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Penguin Random House a déjà publié un extrait de l’ouvrage. Après avoir décrit la performance de Joe Biden à Atlanta comme « le résultat naturel d’un homme de 81 ans dont les facultés diminuaient depuis des années », Tapper et Thompson ajoutent : « Biden, sa famille et son équipe ont laissé leur intérêt personnel et la crainte d’un nouveau mandat de Trump justifier leur tentative de placer un vieil homme parfois perdu dans le bureau Ovale pour quatre années supplémentaires. Quel était le but de tout cela ? S’agissait-il d’un camouflage ? S’agissait-il d’une conspiration ? Nous laisserons les faits parler d’eux-mêmes. »
Déni et illusions
Dans Uncharted, un livre à paraître mardi et dont des extraits ont été publiés la semaine dernière par The Guardian, le journaliste et documentariste Chris Whipple rejette la thèse du camouflage et du complot, la trouvant « simpliste ».
Mais il y raconte le déni et les illusions qui ont poussé Joe Biden et ses proches à croire que ce président octogénaire dont le visage se figeait de plus en plus souvent pourrait briguer un second mandat et battre Donald Trump.
Déni et illusions incarnés de façon stupéfiante par Ron Klain, celui qui a fourni à Chris Whipple l’anecdote citée plus haut et plusieurs autres encore.
Whipple décrit notamment la surprise de Klain lors de la première rencontre à Camp David entre Biden et l’équipe qui l’aidera à se préparer pour le débat d’Atlanta. « Il ne l’avait jamais vu aussi épuisé et absent. Biden n’était pas conscient de ce qui se passait dans sa propre campagne. Au milieu de la séance, le président s’est excusé et est allé s’asseoir au bord de la piscine. »
Le soir, le groupe s’est réuni à nouveau. « Nous nous sommes assis autour de la table, a raconté Klain à Whipple. Biden avait des réponses sur des cartes, et il était extrêmement épuisé. Et j’ai été frappé de voir à quel point il était déconnecté de la politique américaine. Il était très, très concentré sur ses interactions avec les dirigeants de l’OTAN. »
Joe Biden croyait-il être président de l’OTAN plutôt que celui des États-Unis ? Klain se souvient de s’être posé la question, à moitié sérieusement. « Il est juste devenu très enchanté à l’idée d’être le chef de l’OTAN. »
Prévu pour durer 90 minutes, le premier débat simulé à Camp David a été interrompu à mi-chemin. Le deuxième a pris fin après seulement 25 minutes.
Ron Klain était persuadé que l’affrontement d’Atlanta serait une catastrophe. Mais la catastrophe ne l’a pas empêché de croire que Joe Biden aurait dû rester dans la course.
« Nous contre eux »
Sorti mardi dernier, Fight, le tout premier livre sur la campagne présidentielle de 2024, aide à comprendre la réaction de Ron Klain et de tous les autres proches et collaborateurs de Joe Biden, ce président orgueilleux qui aura été le premier à nier son déclin, avec entêtement et arrogance.
« Comme la plupart des hommes politiques, Joe Biden exigeait une loyauté absolue de la part des personnes qu’il autorisait à entrer dans son cercle intime », écrivent les journalistes Jonathan Allen et Amie Parnes dans Fight.
En retour, sa famille et ses collaborateurs les plus proches reflétaient son paradigme “nous contre eux”. Eux aussi traitaient avec suspicion toute personne qui le remettait en question et avec méchanceté toute personne qui le contrariait.
Extrait du livre Fight, des journalistes Jonathan Allen et Ami Parnes
Impossible de ne pas penser à Donald Trump et à son entourage, à leur déni et à leurs illusions.
Un mot sur Barack Obama, pour finir. Le 44e président n’a même pas daigné regarder le débat du 27 juin en direct, selon Fight. Mais il a téléphoné à Joe Biden après la catastrophe pour le pousser vers la sortie. Il a usé de diplomatie avec celui qui ne lui a jamais pardonné d’avoir nui à ses ambitions présidentielles en donnant son appui à Hillary Clinton en 2016 et en doutant de ses chances en 2020.
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