Un racisme qui ne dit pas son nom
Un racisme qui ne dit pas son nom

(New York) À tour de rôle, jeudi dernier, quatre hommes blancs se sont succédé au micro de la salle de presse de la Maison-Blanche pour dénoncer la diversité.
Le président Donald Trump a été le premier à prendre la parole, suivi du vice-président J.D. Vance, du secrétaire à la Défense Pete Hegseth et du secrétaire aux Transports Sean Duffy.
Chacun d’entre eux a établi un lien entre la collision aérienne survenue la veille à Washington et cette notion de diversité au cœur des programmes de DEI (diversité, équité et inclusion) dont la nouvelle administration souhaite l’éradication complète au sein du gouvernement fédéral – et au-delà.
« Merci pour votre leadership, Monsieur le Président. Vous avez des centaines de personnes qui poursuivent le gouvernement parce qu’elles ont été écartées des postes de contrôleur aérien en raison de la couleur de leur peau », a dit le vice-président, présentant une allégation concernant des postulants blancs qu’il a été incapable de prouver par la suite.
Et chacun d’entre eux a promis le retour de « l’embauche au mérite ».
« Nous ne pouvons accepter que les meilleurs et les plus brillants à des postes de sécurité qui ont un impact sur la vie de nos proches », a déclaré le secrétaire aux Transports, ex-animateur de Fox Business, tenant pour acquis que les efforts pour diversifier la main-d’œuvre étaient incompatibles avec le mérite.
Rhétorique familière
Les médias n’ont pas hésité à reprocher à Donald Trump et aux autres membres du quatuor d’avoir incriminé sans aucune preuve les programmes de DEI dans la sécurité aérienne. Mais le président et ses lieutenants adoptaient une rhétorique familière. Une rhétorique qui met en cause le sens qu’ils donnent aux notions de diversité et de méritocratie.
Depuis quelques années aux États-Unis, il n’y a quasiment plus aucune crise ou tragédie que les républicains et leurs compagnons de route n’associent pas aux programmes de DEI.
« Après avoir vu un autre train de Norfolk Southern dérailler ce week-end, je me suis souvenu que la société avait écrit à ses actionnaires pour leur dire qu’elle se concentrait sur la DEI », a déclaré le représentant républicain de Géorgie, Mike Collins, dans l’hémicycle de la Chambre après le déraillement d’un train transportant des produits toxiques à East Palestine, en Ohio, le 3 février 2023.

PHOTO GENE J. PUSKAR, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Déraillement d’un train de Norfolk Southern transportant des produits toxiques à East Palestine, en Ohio, en février 2023
« Ses ressources n’auraient pas dû être consacrées à des initiatives de type “woke/DEI”, mais plutôt à une véritable gestion financière », a écrit sur X le représentant républicain d’Arizona, Andy Biggs, en faisant référence à la faillite de la Silicon Valley Bank, le 10 mars 2023.
« Voulez-vous voler dans un avion où la priorité est donnée à la DEI en matière d’embauches plutôt qu’à votre sécurité ? C’est ce qui se passe en réalité », a soutenu sur X l’entrepreneur milliardaire Elon Musk après qu’un Boeing 737 Max 9 d’Alaska Airlines a perdu une porte en plein vol, le 5 janvier 2024.
C’est aussi « ce qui arrive lorsque des gouverneurs privilégient la diversité au détriment du bien-être et de la sécurité des citoyens », a écrit sur X Phil Lyman, candidat républicain au poste de gouverneur de l’Utah, après l’effondrement du pont Francis-Scott-Key à Baltimore, le 26 mars 2024.
Racisme
On mettra fin ici à cette liste non exhaustive de malheurs associés à la DEI pour rappeler que Baltimore se trouve dans l’État du Maryland, dont le gouverneur, Wes Moore, étoile montante du Parti démocrate, est un Noir. Cette ville a aussi pour maire un Noir, Brandon Scott, qui a été qualifié sur X de « DEI mayor », comme Katanji Brown Jackson a été qualifiée de « DEI judge » après sa confirmation en tant que première femme noire à la Cour suprême, comme Kamala Harris a été qualifiée de « DEI candidate » par le représentant républicain du Tennessee, Tim Burchett, après le retrait de Joe Biden de la course à la Maison-Blanche.
Les républicains et les conservateurs affirment voir dans les programmes de DEI une forme de racisme. Ils défendent souvent cette opinion en citant un extrait du célèbre discours de Martin Luther King Jr. où le leader du mouvement des droits civiques rêve du jour où ses enfants « ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère ».
Mais il est difficile d’échapper à l’impression qu’une forme de racisme plus ancienne, plus viscérale, mène certains d’entre eux à considérer toute personne issue de la « diversité » comme étant inférieure.
Le maire de Baltimore a exprimé cette impression de façon crue l’an dernier. « Nous savons ce qu’ils veulent dire, mais ils n’ont pas le courage de prononcer le mot qui commence par N », a-t-il dit.
Et même s’il n’y avait aucun réflexe raciste dans les propos des Trump, Vance, Hegseth et Duffy, il y a une certaine ironie dans leur prétention d’être les défenseurs ou les représentants de la méritocratie. Hegseth, ex-animateur de Fox News devenu secrétaire à la Défense, serait un symbole de la méritocratie ?
Autre fait cocasse : trois jours après l’investiture du 47e président, un représentant républicain du Tennessee a proposé de modifier le 22e amendement de la Constitution pour permettre à Donald Trump de briguer un troisième mandat. Selon sa proposition, le 22e amendement modifié se lirait ainsi : « Nul ne peut être élu plus de trois fois à la fonction de président ni être élu pour un mandat supplémentaire après avoir été élu pour deux mandats consécutifs. »
Cela écarterait d’emblée Barack Obama, un Noir qui aurait de réelles chances de battre Donald Trump.
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